
J’ai commencé à lire Joan Didion suite à un article sur le blog de Laila Lalami (auteur qui vit et travaille en Californie et que j’admire beaucoup).
Joan Didion fait partie de ces écrivains que je peux lire sans jamais me lasser. Cela m’étonne d’ailleurs que jamais, ni pendant mes quatre années de littératures anglo-saxonnes ni dans le courant de mon année de Master en études américaines, je n’ai lu Didion. Mais elle fait partie de ma vie depuis quelques années et ses textes sont toujours à portée de ma main.
“Je suis moi-même la matière de mon livre” Montaigne (Essais)

Didion est née le 5 décembre 1934 à Sacramento et vit à New York depuis des décennies. Son écriture est profondément ancrée dans cette Californie dont elle est originaire, mais aussi dans l’Amérique, qu’elle décrit avec un oeil unique, elle scrute son environnement et le met en page merveilleusement.
« The West begins, » Bernard Devoto wrote, « where the average annual rainfall drops below twenty inches. » This is maybe the best definition of the West I have ever read, and it goes a long way toward explaining my own passion for seeing the water under control, […] The West begins where the average annual rainfall drops below twenty inches. Water is important to people who do not have it, and the same is true of control. —From « Holy Water » in The White Album (1979).
Journaliste, essayiste, romancière, scénariste (elle écrivait avec feu son mari John Gregory Dunne)… Didion a un corpus très riche et très varié. Le travail qui me touche le plus profondément est son écriture très personnelle, ses essais autobiographiques qui sont tellement puissants. À chaque lecture de The White Album, Slouching Towards Bethlehem, After Henry, The Year of Magical Thinking ou encore Blue Nights, plusieurs émotions se manifestent tour à tour en moi : bonheur absolu, respect infini, admiration, crainte, angoisse.

D’un amour profond pour cette écriture je termine dans l’angoisse. Je lis Didion et je me dis, c’est cela, c’est la que tu dois aller, pour de suite me dire arrête d’écrire, juste arrête. Jamais tu n’arriveras à ce niveau-là d’émotion.
Angoisse aussi causée par la profondeur des sujets racontés dans ses deux derniers livres : L’année de la pensée magique et Le bleu de la nuit (qui paraîtra en français chez Grasset janvier 2013 – tous deux traduits par Pierre Demarty). Joan Didion y raconte le deuil d’une façon remarquable, tout en gardant une très belle pudeur. The Year of Magical Thinking relate l’année de deuil suivant le décès de son mari survenu à la suite d’une crise cardiaque. Dans Blue Nights, Didion raconte le deuil suite au décès de sa fille Quintana Roo Dunne qu’elle avait adoptée à la naissance, quelques mois après son père. Comment survit-on à deux deuils d’affilée ? Didion semble dire, à travers l’écriture.

Cette écriture qui me passionne m’a au départ paralysée : je n’ai pas pu prendre de notes, ni ajouter l’un ou l’autre post-it pour marquer une page, un extrait qui me touchait. Comme si annoter allait désacraliser l’oeuvre. Mais je ressentais étrangement le besoin de laisser une trace de ma lecture et j’ai donc dessiné les livres de Didion que j’étais en train de lire. Quel geste étrange, comme si je devais justifier mon existence à tout prix. Il m’a fallu du temps pour me replonger dans les textes de Didion. Trop d’amour, trop d’admiration parfois crée cette tension en moi, peut-être une sorte de jalousie, jalousie que jamais je n’atteindrai ce niveau-là de l’émotion. Puis la crainte de moi-même, me sentant égoïste de ressentir cela. Heureusement ce sentiment-là ne dure pas longtemps, l’admiration et la soif de lire reprend le dessus. Je peux alors reprendre l’annotation, et là, en douceur, je me réconcilie avec moi-même et avec cette grande dame.

J’ai revisité mes notes et en partage quelques-unes ici (photos). Elles sont en anglais, tenter de les traduire serait trop douloureux (oh la peur d’échouer). Je ne veux pas me lancer dans cet exercice-là, pas maintenant.
J’ai retrouvé cette remarque en français que j’ai ajouté sous l’extrait où Didion parle de la relation entre un auteur et son éditeur. L’éditeur qui a la foi en son auteur, qui aime son auteur. Et là, tout à coup, je reprends confiance. Elle a raison la Didion. Je peux continuer, non sans angoisse, mais les notes, ou le dessin, sont la pour ça.
