publie.monde

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traduire est un acte généreux. c’est aussi un acte difficile, enfin, ça l’est pour moi. ceux qui me connaissent sauront que la traduction est pour moi un geste très fortement lié à mes émotions et mes liens avec mon pays natal.

quelle fierté et quel bonheur de voir mes traductions côte à côte avec celles de Michel Volkovitch dans la collection publie.monde.

fierté encore plus grande de voir ces deux pays ensemble. c’est tellement important.

superbes couvertures aussi de Roxane Lecomte. je ne la remercierai jamais assez pour ces merveilleux ePubs ? MERCI ROXANE !

et merci à toute l’équipe Publie.Net.

maintenant c’est à vous lecteurs, lectrices.

allez, qu’attendez-vous ? … c’est par ici

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café des merveilles

les cafés sont des espaces étranges. plein d’histoires. parfois propice à l’écriture. pendant ou après.

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ma mère tient plusieurs cafés à Bruxelles. femme au foyer pendant des années, suite au départ de mon père, elle s’est construit une carrière : patronne de café. de ces cafés locaux où l’on croise toutes sortes de caractères, des personnages tout droit sortis de la vie.

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ce matin dans le coeur de Londres, non loin de la gare, je m’attarde dans un café coloré.

un café tout à fait éloigné des cafés de ma mère.

j’y relis Ali & Ramazan . un contraste, de nouveau. ces couleurs autour de moi, les montgolfières en papier, les tasses antiques, les roses à chaque table… et pourtant, j’arrive à me plonger dans le monde des jeunes orphelins Ali et Ramadan. j’arrive à me replonger dans mes souvenirs du café de ma mère. je repense à l’avocat retraité qui buvait six Duvel entre 11 et 16h. à sa femme qui l’accompagnait au Porto rouge. à la mort de cette femme. à la solitude de cet homme.

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les cafés sont des lieux étranges. ils vivent. ils meurent. nous les faisons vivre, parfois nous y mourons.

et pour y penser, je me cache dans le café des merveilles.

les gens sont étranges (où est-ce juste moi).

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appellation d’origine contrôlée

Interdit d’écrire, interdit de traduire dans une langue qui ne t’es pas donnée à la naissance

et même, une langue qui n’est pas attribuée à ton passeport (pays bilingue, trilingue, pas-lingue ? mais on s’en fiche hein).

in-ter-dit !

je préfère que mes textes soient traduits par un Français d’origine,

dit un auteur de Turquie de très grande renommée (dans son pays, parce qu’ailleurs, personne ne le connait).

Parce que soit disant un Français « de souche » est bien plus capable de rendre les nuances du texte dans sa langue « maternelle ». Bon, je paraphrase, parce que « de souche » et « langue maternelle » n’ont pour moi aucun sens. Je crois d’ailleurs sincèrement que nous avançons vers un monde où plus personne ne comprendra ce que cela signifie (oui, d’accord, c’est dans très longtemps, ou dans Star Trek, mais on peut rêver, hein).

puis il y a ceux qui disent que je ne peux pas

écrire de la Littérature en français car on sent bien que ce n’est pas ta langue maternelle

Ah mais oui. Merci de me le dire. Ma mère, elle n’a pas reçu le français dans son berceau, moi non plus. C’est Saint-Nicolas qui me l’a apporté le français. ça compte alors dites, ça compte ?

33 ans de langues. ça compte ?

15 ans d’écriture et de traduction, ça compte ?

30 ans de lecture entre les langues, ça compte ?

que j’aime ces langues, ça compte ?

je peux l’avoir l’appellation d’origine contrôlée ? mettez-moi avec les saucissons secs, halal de préférence. Merci. Merci de tout coeur. L’étiquette sur le front, le cachet dans le passeport, c’est tout ce dont j’ai besoin pour bien écrire et bien traduire.

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J’ai tout contrôlé là, c’est bon, je reprends mon bain de soleil. (Le marché de livres de seconde main, Istanbul, 2013)

Racines

Racines de Isabelle Pariente-Butterlin.

Racines de Isabelle Pariente-Butterlin.

Une superbe photo que je viens de croiser dans mon fil Twitter… « Racines » par Isabelle Pariente-Butterlin (ce matin encore je partageais avec Isabelle la lenteur avec laquelle je publiais sur ce blog comparé à sa productivité que j’admire tant ! « respecter son rythme… tu as raison » m’a-t-elle répondu… et je dis merci).

J’ai voulu publier cette image ici car j’ai immédiatement pensé à George Steiner.

D’abord cette notion d’enracinement dans une langue dont il parle dans Hors-Champs et que j’ai déjà cité ici mais dont jamais je ne me lasse :

Est-ce que le polyglotte, celui qui n’est pas enraciné dans une langue – ce qui est un peu mon cas – perd une certaine intimité presque organique avec ce qu’on appelle – la phrase est très dangereuse en allemand, ‘avoir son sang et son terroir’tandis que le monoglotte dit ‘voilà, je suis comme un arbre profondément enraciné et toutes les nuances de ma langue, de ma sensibilité sont entièrement celles d’une tradition, d’un certain milieu’ j’ai mes doutes.

Et cette autre citation, belle et effrayante à la fois quand on la remet dans un certain contexte historique, qu’il a souvent répétée et que je retrouve dans cet entretien de Télérama :

Les arbres ont des racines ; moi, j’ai des jambes, et c’est un progrès immense, croyez-moi !

Les racines… je vais certainement poursuivre mon exploration du sujet ici.

Sur Wajdi Mouawad

Amsterdam, de nuit

Amsterdam. Nuit.

Lundi soir dans Hors-champs, Laure Adler recevait le metteur en scène, comédien et auteur Wajdi Mouawad. Dans la première partie de l’émission, Mouawad raconte l’exil de ses parents, son apprentissage de la langue française et de sa propre langue poétique, de la transmission, de l’importance de la lecture qui l’a accompagné dans cet apprentissage -notamment de la bande dessinée, ainsi que des chanteurs populaires comme Brel ou Ferré. En voici quelques extraits.

J’ai commencé à mesurer la schizophrénie qui existait entre le silence brisé grâce à la littérature et le silence opaque de la famille dès que je refermais le livre.

J’ai voulu rendre plus transparent cette opacité, qui était le silence de ma famille.

…silences dus aux douleurs, aux souffrances vécues par mes parents, par la génération de mes parents et qu’il y avait une impossibilité de raconter à ma génération ce qui c’était passé.

Sur la question de la transmission et de l’importance de se souvenir de la puissance de la parole il dit :

Transmettre c’est faire ressentir,… c’est illuminer la conscience de l’autre.

Et sans doute la partie que je préfère, celle où il raconte sa découverte des langues (le français, son arche langagier, …) et ce lien entre chaque découverte et son propre éloignement :

Je découvrais la langue française en France, je découvrais le théâtre au Québec, je découvrais une nouvelle langue française au Québec, j’en construisais une nouvelle langue poétique qui était la mienne… Tout ça devenait très étranger à mes parents, comme si je partais en fugue.

Plus on partait en exil plus moi je partais en fugue.

Vous pouvez écouter le podcast dans son entièreté ici : Hors-champs, Wajdi Mouawad.

Voyage dans mes annotations de Joan Didion

J’ai commencé à lire Joan Didion suite à un article sur le blog de Laila Lalami (auteur qui vit et travaille en Californie et que j’admire beaucoup).

Joan Didion fait partie de ces écrivains que je peux lire sans jamais me lasser. Cela m’étonne d’ailleurs que jamais, ni pendant mes quatre années de littératures anglo-saxonnes ni dans le courant de mon année de Master en études américaines, je n’ai lu Didion. Mais elle fait partie de ma vie depuis quelques années et ses textes sont toujours à portée de ma main.

“Je suis moi-même la matière de mon livre” Montaigne (Essais)

Didion est née le 5 décembre 1934 à Sacramento et vit à New York depuis des décennies. Son écriture est profondément ancrée dans cette Californie dont elle est originaire, mais aussi dans l’Amérique, qu’elle décrit avec un oeil unique, elle scrute son environnement et le met en page merveilleusement.

« The West begins, » Bernard Devoto wrote, « where the average annual rainfall drops below twenty inches. » This is maybe the best definition of the West I have ever read, and it goes a long way toward explaining my own passion for seeing the water under control, […] The West begins where the average annual rainfall drops below twenty inches. Water is important to people who do not have it, and the same is true of control. —From « Holy Water » in The White Album (1979).

Journaliste, essayiste, romancière, scénariste (elle écrivait avec feu son mari John Gregory Dunne)… Didion a un corpus très riche et très varié. Le travail qui me touche le plus profondément est son écriture très personnelle, ses essais autobiographiques qui sont tellement puissants. À chaque lecture de The White Album, Slouching Towards Bethlehem, After Henry, The Year of Magical Thinking ou encore Blue Nights, plusieurs émotions se manifestent tour à tour en moi : bonheur absolu, respect infini, admiration, crainte, angoisse.

D’un amour profond pour cette écriture je termine dans l’angoisse. Je lis Didion et je me dis, c’est cela, c’est la que tu dois aller, pour de suite me dire arrête d’écrire, juste arrête. Jamais tu n’arriveras à ce niveau-là d’émotion.

Angoisse aussi causée par la profondeur des sujets racontés dans ses deux derniers livres : L’année de la pensée magique et Le bleu de la nuit (qui paraîtra en français chez Grasset janvier 2013 – tous deux traduits par Pierre Demarty). Joan Didion y raconte le deuil d’une façon remarquable, tout en gardant une très belle pudeur. The Year of Magical Thinking relate l’année de deuil suivant le décès de son mari survenu à la suite d’une crise cardiaque. Dans Blue Nights, Didion raconte le deuil suite au décès de sa fille Quintana Roo Dunne qu’elle avait adoptée à la naissance, quelques mois après son père. Comment survit-on à deux deuils d’affilée ? Didion semble dire, à travers l’écriture.

Cette écriture qui me passionne m’a au départ paralysée : je n’ai pas pu prendre de notes, ni ajouter l’un ou l’autre post-it pour marquer une page, un extrait qui me touchait. Comme si annoter allait désacraliser l’oeuvre. Mais je ressentais étrangement le besoin de laisser une trace de ma lecture et j’ai donc dessiné les livres de Didion que j’étais en train de lire. Quel geste étrange, comme si je devais justifier mon existence à tout prix. Il m’a fallu du temps pour me replonger dans les textes de Didion. Trop d’amour, trop d’admiration parfois crée cette tension en moi, peut-être une sorte de jalousie, jalousie que jamais je n’atteindrai ce niveau-là de l’émotion. Puis la crainte de moi-même, me sentant égoïste de ressentir cela. Heureusement ce sentiment-là ne dure pas longtemps, l’admiration et la soif de lire reprend le dessus. Je peux alors reprendre l’annotation, et là, en douceur, je me réconcilie avec moi-même et avec cette grande dame.

J’ai revisité mes notes et en partage quelques-unes ici (photos). Elles sont en anglais, tenter de les traduire serait trop douloureux (oh la peur d’échouer). Je ne veux pas me lancer dans cet exercice-là, pas maintenant.

J’ai retrouvé cette remarque en français que j’ai ajouté sous l’extrait où Didion parle de la relation entre un auteur et son éditeur. L’éditeur qui a la foi en son auteur, qui aime son auteur. Et là, tout à coup, je reprends confiance. Elle a raison la Didion. Je peux continuer, non sans angoisse, mais les notes, ou le dessin, sont la pour ça.

Par où commencer…

Ta voix écrasée.

Tu voudrais abandonner. Mais un besoin te possède. Il est si impérieux que tu te sens impuissant à le combattre. Tu ne peux ni écrire ni renoncer à l’écriture. Une situation proprement infernale.

Les lentes et sombres années à espérer que les mâchoires de la tenaille finiront un jour par se desserrer.

Simplement attendre. Endurer le temps. Te laisser laminer par le doute.

—- Lambeaux, Charles Juliet.

…par ici, commencer ici. En prenant des forces à la lecture des autres, de ceux qu’on admire.

C’est parti, allogène prend vie.